Un problème de spiritualité

Mon papa, parles-tu à travers moi ? Toi qui m’a élevée, imprégnée de tes idées et idéaux ? Pourtant quand je t’ai demandé toute jeune, voyant mes camarades aller au catéchisme, « Dieu, il existe ou pas ? » tu m’as répondu en bon normand « Peut-être ben que oui, peut-être ben que non, certains y croient, d’autres non » Et toi mon papa, tu m’as dit « j’ai failli devenir curé mais j’ai perdu la foi, finalement j’ai trouvé la réflexion, la recherche. »
J’ai passé ma jeunesse à suivre cette recherche, demander à mes amis catholiques, protestants ou autre, d’où ils tiraient leur foi, à philosopher sur le besoin de croyance de l’Homme, qui ne comprenant pas la foudre, y voyait Zeus et tous les autres dieux, chacun une réponse aux phénomènes terrifiants nous entourant. On a finalement dit non ce n’est pas un dieu qui provoque ceci ou cela, regardez la science, on peut se passer de la réponse Dieux sur ce sujet. Mais au collège je me disais, il reste au moins deux questions sur lesquelles Dieu reste une réponse rassurante : la création de la vie (la première cellule vivante, vu que tout ne s’est pas fait en 6 jours finalement) et surtout quoi après la mort ? le vide et le néant ? trop flippant. Même dans mon livre de biologie (ma passion lycéenne) il y avait un paragraphe qu’il faudrait que je retrouve mais en substance qui disait « ces questions laissent la place à la spiritualité et aux croyances. »

Une place à la spiritualité, certes. Aux croyances archaïques ? Ça reste à voir…
Mon intellect m’a toujours poussé à me dire que les croyances, les miracles et par extension le spirituel n’étaient que des miroirs aux alouettes. Mon intellect, vraiment ? Non, mon père, qui ne voulant peut-être pas m’influencer, m’a menti par omission. Oui, Papa, tu m’en menti, tu n’avais pas perdu la foi en fait ! En tout cas le foi en un dieu chrétien oui, mais pas dans le spirituel et le transcendant. Je m’explique.
Mon père me racontait que les miracles, dans un contexte de la religion, sont perçus comme des manifestions de dieu (ex. les stigmates). Mais dans un contexte scientifique peuvent être une manifestation d’un phénomène de maladie mentale : les hystériques peuvent ressentir une brûlure si le chercheur leur fait croire qu’il les a brûlé avec une cigarette et même, tenez-vous bien, une vraie brûlure apparait sur leur peau à l’endroit où elles ont été touché par le doigt ! Mais bon, le propos de cette observation c’est attention, ce qui parait surnaturel est sûrement un phénomène encore inexpliqué par la science… Et pourtant l’autre point de vue, c’est quand même, quand on y pense finalement, qu’elles avaient des pouvoirs surnaturels, non ? Quand on y pense, si le cerveau peut faire apparaitre une brûlure, il peut aussi guérir, non ?
Mais bon, à l’époque mon coté cartésien a pris le dessus. Attention à ne pas voir de manifestations surnaturelles là où juste l’inexplicable se manifeste. Attention à ne pas voir dans les coïncidences étranges plus que de simples coïncidences, sinon on risque de passer pour mystique, folle ou tout simplement bipolaire en phase maniaque. Merci.
Comme ce directeur de banque qui avoue à mon père vers 1956 alors tout jeune psychologue scolaire, « à vous, je peux le dire, je suis Jésus Christ, mais je ne le dis plus, car les gens ne comprennent pas »… Whaaaaaat ?

C’est là que j’avoue avoir eu une crise mystique quand, toute jeune fraichement installée seule dans mon 12 m2, je me torturais sur la douleur de ma mère, douleur que je voulais absorber pour la soulager, douleur du monde entier que j’aurai voulu aborder pour les en libérer, tel Jesus Christ venu se sacrifier pour les Hommes. Et puis finalement, je me suis dit « Elle souffre sûrement moins que tu le crois, ne te torture pas, et fais juste ce que tu peux, par exemple lui dire « Je t’aime quand même » (même si tu es insupportable et que tu bousilles nos vies et la tienne). » Et je me suis dit, ne soit pas mystique et réfléchit, ça vaut mieux que jouer les rebouteux. Je me suis transformée en psychologue de comptoir, pour prêcher la bonne parole qui est surtout « Il faut savoir pardonner à nos parents et espérer que nos enfants nous pardonnent un jour » d’être juste humain et de ne pas tout savoir, de faire souffrir sans le vouloir, d’être imparfait…

Mais quand même, papa, tu m’as menti, finalement tu y croyais, au spirituel et à la magie. Mais tu ne me l’as pas dit. Je ne t’en veux pas. Je t’aime quand même. Même si je comprends mieux aujourd’hui Yves Pagès d’avoir eu l’impression d’être une souris d’expérimentation pour son père. Sinon comment expliquer que, malgré le fait que tu savais très bien mon aversion pour le mariage, tu as dit avec ton petit sourire énigmatique il y a quelques mois à mon frère « ils vont se marier » ? Comment tu savais qu’une nuit, à quatre heure du mat’, j’allais dire à mon compagnon « On a qu’à se marier ! ça va être chouette. » Et moi, si fière de mon coup, de l’annoncer à mon frère et ma belle-soeur juste avant le rendez-vous chez la Notaire, pour que la vie continue et que la joie demeure… Et quoi ? là j’apprends que tu le savais déjà, bien avant moi ? Petite souris dans son labyrinthe, tu avais vu la direction que je prenais avant que je n’en vois la sortie ? Tu m’as bien eu sur ce coup !

Pour en revenir au monde, aux problèmes qui nous rongent, aux attentats, à la souffrance sociale, à l’écologie, au manque de sens dans le travail…. Ma réponse est toujours scientifique, statistique, psychologie sociale. Mais je pense que le spirituel manque cruellement. Sans parler de religion, car on ne sait pas. Ce que je sais aujourd’hui c’est que nous avons un gros problème de spiritualité, de respect de la nature et des énigmes. Je disais à mon père : le problème c’est que dans notre société laïque on a mis de cote le spirituel avec la religion et les hommes souffrent de cela. Vos croyances religieuses sont certes personnelles, mais le respect de l’environnement, des autres, de l’histoire et du monde, cela devrait être universel, non ?

Mais ces dernières décennies de la technologie et du savoir ont contraint l’humilité et la spiritualité à quelques cours de philo, à un service militaire disparu, à un mouvement écologique utopique, la solidarité à de vieux cocos rouges dépassés ? Le monde va mal et les croyants en souffrance sont relégués soit à de vieux cathos effarouchés, de jeunes musulmans sur le fil du rasoir qui peuvent basculer dans le terrorisme, de juifs entre victimes d’hier ou bourreaux d’aujourd’hui, de bouddhistes exotiques, de végans boboïsés, ou d’illuminés en phase maniaque ?

Je cherchais dans les échanges avec mon père quels pouvaient être les leviers pour changer les mentalités, le monde, notre avenir. Le kaléidoscope des points de vue m’avait frappé depuis déjà bien longtemps. C’est difficile de trouver la bonne parole. Car toutes les opinions doivent être respectées… Mais cette opinion majoritaire qui fait que nous avons un président jeune et pas assez sage, cette opinion qui fait que nous sommes dans un monde sans pitié, faut-il encore la respecter ?

Où est le respect quand une jeune fille qui prêche la bonne parole pour l’écologie de demain est trop facilement reléguée à des stéréotypes tels que « c’est une autiste instrumentalisée », quand les gilets jaunes qui grondent sont relégués à « une bande de cons qui ne pensent qu’à eux », que les parisiens traumatisés par Notre-Dame en feu relégués à « une bande de cons voyeuristes en manque de sensations » ? Chaque opinion compte mais je ne supporte plus que l’ironie acerbe soit la seule majoritairement comprise, car nous avons besoin de bienveillance, de sens et de transcendance.

Aujourd’hui, je sais que beaucoup tiquent sur cette promesse absurde de reconstruire Notre-Dame en cinq ans, sur le fait que les puissants riches nous sortent un milliard en une nuit, alors que le pays gronde depuis des mois, que les gens souffrent écrasés par un système capitaliste qui nous dit « travailler plus pour gagner plus » alors qu’il n’y aura de toutes façons plus de travail pour tout le monde, quelque soit notre volonté, notre talent, notre motivation personnelle. Le miroir aux alouettes c’est, entre autre, depuis des décennies de croire que l’ascenseur social fonctionne encore, qu’il n’y a plus de classes sociales. Nous avons un président intelligent, beau parleur, très doué. Mais il est lui aussi victime de notre siècle. Il est lui aussi trop jeune pour se rendre compte que nous autres humains nous nous devons pour notre futur d’être humbles, face à l’immensité du temps et de l’espace, face à notre condition humaine, d’êtres mortels.

Notre-Dame est un symbole, faut-il le sauver lui ou essayer de sauver l’humain, en croyant possible un changement, une mutation de la société ? Dites-moi ?