La vie de château

Mon père est né en Normandie en 1931. Sa mère Marie Germaine Victoria Turpin, cuisinière, seule fille d’une fratrie de 9 frères, épouse à vingt ans André Henri Benjamin Omer Duflos. Ils forment le jeune couple d’employés de maison qui passeront plusieurs années au château. André-Père apprend à son fils à respecter les fleurs, qu’il ne faut pas couper sans réflexion pour en faire des bouquets. Respect de la nature un peu compromise quand André-Fils est retrouvé dans le potager, tous les choux éventrés, car les garçons naissant dans les choux, il cherchait un éventuel petit frère. Cette vie de château permet à mon père d’accéder à la culture, à la littérature et au savoir, les châtelains considérant que l’éducation n’est pas faite pour les paysans, mais pour le fils de leur jardinier, bien sûr que oui : il aura accès à toute leur bibliothèque.

Prise de conscience sociale dès le plus jeune âge ? Cette duchesse se demandant ce que fait là ce petit paysan, le châtelain répondant « c’est le fils de mon jardinier, il est ici chez lui, et si cela ne vous plait pas, partez donc ». André sait donc lire et écrire à 4 ans, et tout le pousse a prendre la voie de l’instruction, du curé du village aux employeurs de ses parents. Plusieurs kilomètres à pied chaque jour pour aller à l’école, des classes dans lesquelles tous les âges sont rassemblés, les grands aidant les petits, on est sérieux à cette époque.

En tout cas André l’est, même si il doit montrer, à coups de poing, qu’il n’est pas une fille. Son père partant pour la guerre ordonne finalement à sa mère de faire couper les boucles blondes de son garçon… Un paradoxe pour cette femme qui ne voulait surtout pas engendrer de fille, si anxieuse de mettre au mode un bébé de sexe féminin que son mari avait pensé lui faire la blague, à la naissance d’André, de s’écrier « c’est une fille ! ». Je ne sais plus si il a osé, mais je sais que, toute sa vie, la mère ne voudra pas d’autre enfant de peur d’avoir une fille…

La guerre et l’exode

La guerre, l’exode surtout, les anecdotes que je réclamais le soir pour m’endormir. Il racontait cette fois où ce vieux monsieur avait mis tant de temps à descendre de la plateforme du bus pour un arrêt… Arrêt subitement interrompu par les bombes qui peuvent autour d’eux ! Et le premier à courir pour rejoindre le véhicule et sauter lestement sur cette même plateforme, c’est bien sûr le vieillard en question ! Histoire drôle même quand mon père se rend compte qu’un éclat d’obus a coupé net le bout de sa chaussure, sans le blesser, il a 8 ans, il voit une autre fois cette femme qui tient son bébé dans ses bras, ses enfants autour d’elle, prendre un éclat en pleine poitrine et sous la douleur lâcher le bébé sur la route, sa petite fille sauter du camion pour le récupérer, au milieu des bombes, et la mère hurler qu’on arrête la camion. Elle n’en descendra que quelques kilomètres plus loin lors d’une accalmie et repartira à pied avec son petit garçon pour essayer de les retrouver. Et mon père qui se demande des années après ce qu’elle est devenue, si elle les a retrouvés…

Photo d’illustration.

Les années de guerre, les couvre-feu à Paris, il a vu les rafles au petit matin. Me racontant l’infamie des gendarmes français qui séparaient les hommes des femmes dès l’arrestation : les bébés mâles séparés de leurs mères… Il a vu les fusillés, les allemands qui pouvaient aussi être gentils, ces pères eux aussi séparés de leurs enfants, qui distribuaient des bonbons.