Mon père a disparu le 20 mars 2019. Sa vie entière il a observé et analysé le monde, la société, la politique. Je dois bien avouer qu’il était inquiet pour notre avenir. Qui ne l’est pas aujourd’hui ? avec les problématiques d’écologie, d’économie, de société…
André s’est engagé en politique dès la création du PSU et, si il est toujours resté discret, il a persévéré dans son implication jusqu’à la fin, en participant dès qu’il le pouvait aux réunions du sgen, discutant de notre avenir, des problématiques d’éducation… Aujourd’hui il n’est plus, mais ses idées demeurent. Je ne me suis jamais engagée pour ma part, le mentor peut être trop intimidant par sa culture, son savoir, son histoire, des barricades de mai 68 à toute sa carrière d’enseignant-chercheur en psychologie sociale…
Je veux aujourd’hui vous faire part de nos échanges et réflexions. Pour un nouveau monde qui est, tantôt discrètement, tantôt brutalement, en mutation. Je veux vous dire ce que je vois, au travail, et vous dire qu’il y a un autre monde possible si nous ouvrons notre perception.
J’ai souvent discuté avec mon père de points de levier qui me semblaient évidents et pourtant peu ou pas exploités. Par exemple, pourquoi le vote blanc n’a jamais été reconnu à sa juste valeur. Pourquoi le programme de Hamon a disparu du champ des possibles ? Pourquoi, pendant toutes ces semaines de mobilisation des gilets jaunes, le revenu universel n’est pas revenu en force dans le débat national ? Pourquoi l’état de la planète inquiète autant et qu’on a pourtant l’impression que rien ne change et que les humains vont droit dans le mur, qu’il faut être inconscient pour faire des enfants ? Pourquoi ?
Parce que, comme premier élément de réponse, tout va trop vite et nous ne pouvons prendre le recul nécessaire pour calmement analyser l’évolution de notre monde, des humains et de notre société. L’humain, cet être divin et maudit, capable de tant de choses mais surtout de se prévoir sans vie, quelle angoisse ! Commençons par là.
J’ai eu 40 ans cette année, j’ai perdu ma grand-mère maternelle à 105 ans, j’ai recueilli un étourneau sansonnet qui ne veut plus partir malgré nos deux chats. J’ai beaucoup travaillé dans un métier que j’aime mais qui m’a provoqué un semblant de burn-out. J’ai d’abord refusé un arrêt maladie en disant « rien que de me dire que je vais m’arrêter une semaine, ça me stresse ». « Raison de plus pour le faire » m’a répondu mon médecin ! Au final, deux mois et demi d’arrêt, à remonter la pente doucement, en culpabilisant d’abord de ne pas en profiter pour ranger, trier, faire des choses. Je n’avais plus rien à exprimer, à dire, à part une angoisse sourde et paralysante. Comment prendre soin de moi ou me faire plaisir alors que je me suis construite avec ce leitmotiv « quoi que je fasse dans ma vie, je serai heureuse avec ce que j’ai »… Ce qui a ses limites quand la charge est trop grande. Pourquoi n’étais-je pas heureuse alors ?
Parlons de ma grand-mère qui avec impatience attendait d’être enfin rappelée : « On m’a oubliée sur terre ou quoi ? » pourtant elle était toujours là, avec toute sa tête et ses souvenirs. à échanger avec mon père sur la religion, Jésus, les évangiles. Je me disais « comment fait-elle pour avoir autant de souvenirs si précis, avec plus de cent ans de vie ? » Peut-être parce que jusqu’à la première moitié de sa vie, 50 ans, elle n’a pas été inondée d’images télévisuelles, de films, de séries, d’histoires condensées en 1h30 ?
Peut-être parce que les trajets Paris-Marseille ont longtemps pris plus de 7h ? sans tablettes, ordinateurs ou smartphones pour emplir le temps d’une multitude de tâches, d’informations ou de distractions ? Ma plus grande fierté étant peut-être, lors d’une de mes dernières visites, d’avoir pu lui présenter Cracou, et qu’elle me dise « Je n’ai jamais vu ça, félicitations de l’avoir sauvé »…
Mon père aussi, fan du cracou qui lui faisait la sérénade à chaque visite. Qui me reparlait de Graffiti, le perroquet gris du Gabon, qui avait appris tout seul à assembler des bouts de phrases pour dire « tais toi Eloi » au fils d’Annie quand il criait… Et notre Cracou qui répète inlassablement « t’es content ? tu chantes ? » et qui nous siffle la Marche de l’empereur ! Mon père inquiet de me voir stressée et empêtrée dans ma frustration : tenir ou lâcher prise, Oui ou Non, Noir ou Blanc ? Parce que la vie ce sont des nuances, des épreuves, de la souffrance et de l’injustice mais aussi du bonheur, de la bienveillance et de l’espoir. Je suis heureuse qu’il ait eu le temps de me voir aller mieux, qu’il ait eu le temps de voir qu’il n’avait pas de raison de s’inquiéter pour moi. Heureusement. Qu’aujourd’hui je peux construire, continuer, évoluer et écrire.
Oui heureusement qu’il a pu le voir avant de passer de vie à trépas. Et parce qu’aujourd’hui je vais mieux, je veux vous dire, c’est possible, que nous allions tous mieux. Et peut-être aussi que le monde et la société aillent mieux. Pour que l’histoire et la vie continuent.
Alors pourquoi ? quel problème avons-nous ?
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