Un problème de spiritualité

Mon papa, parles-tu à travers moi ? Toi qui m’a élevée, imprégnée de tes idées et idéaux ? Pourtant quand je t’ai demandé toute jeune, voyant mes camarades aller au catéchisme, « Dieu, il existe ou pas ? » tu m’as répondu en bon normand « Peut-être ben que oui, peut-être ben que non, certains y croient, d’autres non » Et toi mon papa, tu m’as dit « j’ai failli devenir curé mais j’ai perdu la foi, finalement j’ai trouvé la réflexion, la recherche. »
J’ai passé ma jeunesse à suivre cette recherche, demander à mes amis catholiques, protestants ou autre, d’où ils tiraient leur foi, à philosopher sur le besoin de croyance de l’Homme, qui ne comprenant pas la foudre, y voyait Zeus et tous les autres dieux, chacun une réponse aux phénomènes terrifiants nous entourant. On a finalement dit non ce n’est pas un dieu qui provoque ceci ou cela, regardez la science, on peut se passer de la réponse Dieux sur ce sujet. Mais au collège je me disais, il reste au moins deux questions sur lesquelles Dieu reste une réponse rassurante : la création de la vie (la première cellule vivante, vu que tout ne s’est pas fait en 6 jours finalement) et surtout quoi après la mort ? le vide et le néant ? trop flippant. Même dans mon livre de biologie (ma passion lycéenne) il y avait un paragraphe qu’il faudrait que je retrouve mais en substance qui disait « ces questions laissent la place à la spiritualité et aux croyances. »

Une place à la spiritualité, certes. Aux croyances archaïques ? Ça reste à voir…
Mon intellect m’a toujours poussé à me dire que les croyances, les miracles et par extension le spirituel n’étaient que des miroirs aux alouettes. Mon intellect, vraiment ? Non, mon père, qui ne voulant peut-être pas m’influencer, m’a menti par omission. Oui, Papa, tu m’en menti, tu n’avais pas perdu la foi en fait ! En tout cas le foi en un dieu chrétien oui, mais pas dans le spirituel et le transcendant. Je m’explique.
Mon père me racontait que les miracles, dans un contexte de la religion, sont perçus comme des manifestions de dieu (ex. les stigmates). Mais dans un contexte scientifique peuvent être une manifestation d’un phénomène de maladie mentale : les hystériques peuvent ressentir une brûlure si le chercheur leur fait croire qu’il les a brûlé avec une cigarette et même, tenez-vous bien, une vraie brûlure apparait sur leur peau à l’endroit où elles ont été touché par le doigt ! Mais bon, le propos de cette observation c’est attention, ce qui parait surnaturel est sûrement un phénomène encore inexpliqué par la science… Et pourtant l’autre point de vue, c’est quand même, quand on y pense finalement, qu’elles avaient des pouvoirs surnaturels, non ? Quand on y pense, si le cerveau peut faire apparaitre une brûlure, il peut aussi guérir, non ?
Mais bon, à l’époque mon coté cartésien a pris le dessus. Attention à ne pas voir de manifestations surnaturelles là où juste l’inexplicable se manifeste. Attention à ne pas voir dans les coïncidences étranges plus que de simples coïncidences, sinon on risque de passer pour mystique, folle ou tout simplement bipolaire en phase maniaque. Merci.
Comme ce directeur de banque qui avoue à mon père vers 1956 alors tout jeune psychologue scolaire, « à vous, je peux le dire, je suis Jésus Christ, mais je ne le dis plus, car les gens ne comprennent pas »… Whaaaaaat ?

C’est là que j’avoue avoir eu une crise mystique quand, toute jeune fraichement installée seule dans mon 12 m2, je me torturais sur la douleur de ma mère, douleur que je voulais absorber pour la soulager, douleur du monde entier que j’aurai voulu aborder pour les en libérer, tel Jesus Christ venu se sacrifier pour les Hommes. Et puis finalement, je me suis dit « Elle souffre sûrement moins que tu le crois, ne te torture pas, et fais juste ce que tu peux, par exemple lui dire « Je t’aime quand même » (même si tu es insupportable et que tu bousilles nos vies et la tienne). » Et je me suis dit, ne soit pas mystique et réfléchit, ça vaut mieux que jouer les rebouteux. Je me suis transformée en psychologue de comptoir, pour prêcher la bonne parole qui est surtout « Il faut savoir pardonner à nos parents et espérer que nos enfants nous pardonnent un jour » d’être juste humain et de ne pas tout savoir, de faire souffrir sans le vouloir, d’être imparfait…

Mais quand même, papa, tu m’as menti, finalement tu y croyais, au spirituel et à la magie. Mais tu ne me l’as pas dit. Je ne t’en veux pas. Je t’aime quand même. Même si je comprends mieux aujourd’hui Yves Pagès d’avoir eu l’impression d’être une souris d’expérimentation pour son père. Sinon comment expliquer que, malgré le fait que tu savais très bien mon aversion pour le mariage, tu as dit avec ton petit sourire énigmatique il y a quelques mois à mon frère « ils vont se marier » ? Comment tu savais qu’une nuit, à quatre heure du mat’, j’allais dire à mon compagnon « On a qu’à se marier ! ça va être chouette. » Et moi, si fière de mon coup, de l’annoncer à mon frère et ma belle-soeur juste avant le rendez-vous chez la Notaire, pour que la vie continue et que la joie demeure… Et quoi ? là j’apprends que tu le savais déjà, bien avant moi ? Petite souris dans son labyrinthe, tu avais vu la direction que je prenais avant que je n’en vois la sortie ? Tu m’as bien eu sur ce coup !

Pour en revenir au monde, aux problèmes qui nous rongent, aux attentats, à la souffrance sociale, à l’écologie, au manque de sens dans le travail…. Ma réponse est toujours scientifique, statistique, psychologie sociale. Mais je pense que le spirituel manque cruellement. Sans parler de religion, car on ne sait pas. Ce que je sais aujourd’hui c’est que nous avons un gros problème de spiritualité, de respect de la nature et des énigmes. Je disais à mon père : le problème c’est que dans notre société laïque on a mis de cote le spirituel avec la religion et les hommes souffrent de cela. Vos croyances religieuses sont certes personnelles, mais le respect de l’environnement, des autres, de l’histoire et du monde, cela devrait être universel, non ?

Mais ces dernières décennies de la technologie et du savoir ont contraint l’humilité et la spiritualité à quelques cours de philo, à un service militaire disparu, à un mouvement écologique utopique, la solidarité à de vieux cocos rouges dépassés ? Le monde va mal et les croyants en souffrance sont relégués soit à de vieux cathos effarouchés, de jeunes musulmans sur le fil du rasoir qui peuvent basculer dans le terrorisme, de juifs entre victimes d’hier ou bourreaux d’aujourd’hui, de bouddhistes exotiques, de végans boboïsés, ou d’illuminés en phase maniaque ?

Je cherchais dans les échanges avec mon père quels pouvaient être les leviers pour changer les mentalités, le monde, notre avenir. Le kaléidoscope des points de vue m’avait frappé depuis déjà bien longtemps. C’est difficile de trouver la bonne parole. Car toutes les opinions doivent être respectées… Mais cette opinion majoritaire qui fait que nous avons un président jeune et pas assez sage, cette opinion qui fait que nous sommes dans un monde sans pitié, faut-il encore la respecter ?

Où est le respect quand une jeune fille qui prêche la bonne parole pour l’écologie de demain est trop facilement reléguée à des stéréotypes tels que « c’est une autiste instrumentalisée », quand les gilets jaunes qui grondent sont relégués à « une bande de cons qui ne pensent qu’à eux », que les parisiens traumatisés par Notre-Dame en feu relégués à « une bande de cons voyeuristes en manque de sensations » ? Chaque opinion compte mais je ne supporte plus que l’ironie acerbe soit la seule majoritairement comprise, car nous avons besoin de bienveillance, de sens et de transcendance.

Aujourd’hui, je sais que beaucoup tiquent sur cette promesse absurde de reconstruire Notre-Dame en cinq ans, sur le fait que les puissants riches nous sortent un milliard en une nuit, alors que le pays gronde depuis des mois, que les gens souffrent écrasés par un système capitaliste qui nous dit « travailler plus pour gagner plus » alors qu’il n’y aura de toutes façons plus de travail pour tout le monde, quelque soit notre volonté, notre talent, notre motivation personnelle. Le miroir aux alouettes c’est, entre autre, depuis des décennies de croire que l’ascenseur social fonctionne encore, qu’il n’y a plus de classes sociales. Nous avons un président intelligent, beau parleur, très doué. Mais il est lui aussi victime de notre siècle. Il est lui aussi trop jeune pour se rendre compte que nous autres humains nous nous devons pour notre futur d’être humbles, face à l’immensité du temps et de l’espace, face à notre condition humaine, d’êtres mortels.

Notre-Dame est un symbole, faut-il le sauver lui ou essayer de sauver l’humain, en croyant possible un changement, une mutation de la société ? Dites-moi ?

Appelez moi Cassandre

Si notre père était encore là en ce jour funeste où le monde entier est sous le choc de l’embrasement de Notre-Dame, quel serait la teneur de nos échanges sur le sujet ?

J’ai posté sur Facebook une petite bafouille avant de passer l’après-midi chez la notaire avec mon frère et ma belle soeur pour affronter l’après.

 » Je me demandais toute la journée d’hier si je n’étais pas en syndrome post-traumatique (hyper-vigilance, hyper-activité…) d’avoir perdu Notre Père il y a tout juste un mois… Aujourd’hui je me réveille et le monde entier pleure Notre Dame, l’immuable, la vénérable. 
Il faut profiter des personnes et des choses tant qu’elles sont là, et construire du meilleur sur nos épreuves et nos chagrins… Prenez soin de vous, ménagez vous, partagez votre peine et diffusez la bienveillance… on peut changer le monde, rien n’est immuable. »

Tout d’abord j’avoue que je ne suis pas choquée par l’ampleur de l’embrasement et sa vitesse qui fait dire à un président des Etats-Unis « mais pourquoi vous ne balancez par des Canadairs dessus ?! » (LOL comme dirait l’autre).
Quand on a l’expérience du feu, que les humains maitrisent soi-disant depuis 400 000 ans (faut-il le rappeler ?), on sait que la combustion d’une poutre sous des combles peut être d’abord très lente et quasi invisible. Sans oxygène, dans un mur (ou à l’intérieur d’une poutre de chêne imputrescible préparée pendant une centaine d’années par immersion), le simple fait de percer pour passer un tuyau (n’est-ce pas M. B. ?) peut déclencher une combustion qui va petit à petit faire son nid… Couver pendant des heures… jusqu’à déclencher une alarme comme sur le chantier de rénovation de la forêt… mais elle est encore invisible comme le prouve la première visite de contrôle des ouvriers. Là l’expérience et le savoir faire pourraient déclencher autre chose qu’une alarme technologique, l’instinct que j’appelle le syndrome de Cassandre.

Dans mon travail, je me suis pendant des années vantée de m’appeler Cassandre. D’alerter sur les périls à venir, de prévenir plutôt que de guérir. Si je voyais un problème pointer le bout de son nez, d’alerter le client quitte à passer pour l’oiseau de mauvais augure. Bien sûr le client peut rester sourd à mes paroles, et dire « on fait comme ça quand même », mais au moins j’ai la conscience tranquille quand le problème surgit. Pas comme cette fois où après avoir essayé d’alerter à droite et à gauche et de m’être dégonflée pour appeler en direct la cliente, après six mois de galères, en réunion de débriefing elle nous dit « si vous me l’aviez dit, je ne l’aurais pas fait comme ça ». Peut-être ? peut-être pas ? Quoi qu’il en soit, je regrette ces quelques secondes où la main posée sur le téléphone, je n’ai pas osé. Comme je regrette chaque moment où j’ai pressenti et pas agi. (« ouh là, je devrais enlever ce bout d’os de mon assiette avant que Cracou ne le chope » = 12 heures d’angoisse, après lesquelles il a finalement régurgité cette esquille, sans dommage, Alléluia !)

Pressentir un problème, dans une carrière ça s’appelle l’expérience. Il y a encore quelques décennies, on respectait nos anciens : les dernières années de carrière, on leur laissait le temps de transmettre leur savoir et leur expérience, avant de fêter leur départ à la retraite avec des outils de jardinage pour qu’ils coulent des jours heureux, tranquilles. Aujourd’hui notre société considère qu’ils sont has been, trop lents, dépassés… On dégage les seniors à coup de mobilité, de reconversion, histoire de bien faire les petits coqs prétentieux…. Mais Cassandre vous dit : il faut laisser le temps au temps, respecter les ainés et bien se rendre compte que « dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qu’il s’est passé ! ».

Elle vous dit aussi en passant, malgré les techniques de management, de productivité, de ce monde ultra connecté, les burn-out vont se multiplier. Tous nos jeunes et moins jeunes ne comprendront leur souffrance que trop tard. Le burn-out ne se comprend qu’une fois l’embrasement là. Notre-Dame a fait un burn-out.

La combustion qui couve donc, qui ronge petit à petit, 900 ans d’histoire ou 15 ans de carrière. Pour en revenir à la thermodynamique, les lois de la physique tout simplement, la forêt est rongée par la combustion, les alarmes se déclenchent mais les gens ne veulent pas voir ni y croire. Et quand la première tuile cède, que l’oxygène atteint les braises, c’est l’embrasement. En une heure de temps, toute une toiture, un symbole, un trésor part en fumée. On s’affole, on dit « mais balancez de l’eau là dessus ! » « mais pourquoi ils ne font rien ?! » Parce qu’il est trop tard, que toute notre technologie, notre arrogance de maîtriser le monde, ne lutte pas contre les lois de la nature. Cette cathédrale a été construite en plus de cent ans. À l’époque, les bâtisseurs savaient qu’ils commençaient un travail qu’ils ne verraient jamais achevé, comme pour toutes les grands constructions humaines, les pyramides, les temples, les murailles… Laisser le temps au temps. Comme on dit « neuf femmes ne font pas un bébé en un mois ». Les choses doivent prendre le temps de germer, mûrir, être récoltées… Mais notre monde va mal, pollution, stress, vitesse…
Les burn-out vont se multiplier car, depuis ces merveilleux outils que sont internet, les ordinateurs, les communications, tout va trop vite pour l’homme et la nature. Pour prendre une simple métaphore, nous cheminions sur nos vies et nos carrières, d’abord à pied, puis en vélo (on va plus vite, c’est chouette…). Puis quand le vélo à assistance électrique est arrivé, on s’est dit « chouette ! on peut avec moins d’effort aller aussi vite ! puis aller encore plus vite avec autant d’effort, puis toujours plus vite ! grisé par la vitesse, tel un super man, tel un adolescent inconscient, on va trop vite. Et quand le moindre trou, caillou, aspérité, nous fait déraper la chute est violente ! trop violente.

Trop violent de voir 900 ans de patrimoine disparaître en fumée en quelques heures ?
Trop violent de se sentir paralysé, angoissé, d’un coup ne plus pouvoir travailler ?
On m’a souvent dit « utopie, que de vouloir de la bienveillance, du respect, de l’entraide dans ce monde capitaliste, violant, angoissant » Dans un monde où les plus pauvres et les plus faibles ne sont pas aidés et protégés, dans un monde où si tu ne réussis pas c’est que tu es feignant car « bon dieu l’ascenseur social, miroir aux alouettes, costard etc. » Comme je l’écrivais il y a quelques jours, ahhh l’Homme, quel phénomène !

Les pauvres ouvriers, ingénieurs, qui doivent angoisser devant le drame, sachez le, ce n’est pas (complètement) votre faute. C’est le monde actuel qui ne laisse pas le temps de faire bien les choses, qui a des outils merveilleux, mais qui ne respecte pas le savoir-faire et la transmission. Dans beaucoup de projets quels qu’ils soient, on a des gens qui alertent sur les délais, les risques, et on leur répond « personne n’est irremplaçable, quelqu’un d’autre prendra ta place, moins cher, plus vite. » Les cimetières sont remplis de personnes irremplaçables ? (oui, le jardin du souvenir du Père-Lachaise aussi, soit dit en passant). Quelle arrogance, quel gâchis… Et on voit les hommes courir à droite et à gauche, comme des fourmis affolées quand on donne un coup de pied dans la fourmilière, pour reprendre, une fois la menace passée, leur train-train quotidien…

Notre père était enseignant-chercheur en psychologie sociale. Les avancées technologiques le ravissaient, calculer plus vite ses statistiques, analyser le fonctionnement du cerveau sans avoir à martyriser ces pauvres souris. Mais il était inquiet, pour l’avenir, l’éducation, le monde. Je veux croire que des épreuves, des chagrins, nous pouvons apprendre de nos erreurs, comme tous les humains depuis des millénaires. Être plus humble, plus patient, plus solidaire et bienveillant. Car nous allons tous disparaître un jour, et que « nous ne l’emporterons pas au paradis »…
À ceux qui disent que l’optimiste est mort, écoutez Cassandre : si vous pleurez l’immuable Notre-Dame embrasée, voyez-y une leçon de vie, de société, d’un avenir plus rose : si elle peut faire un burn-out, c’est que tout est possible, même construire un monde meilleur.

Mai 68

En mai 68, André a 37 ans, il est professeur, sa femme et son fils sont à la maison, inquiets des événements qui se trament. Mais lui est dans la rue, et ce soir là, il est dans le quartier latin et fait partie des premiers à soulever les voitures pour construire les barricades. Il tire de cette nuit historique des anecdotes à mes oreilles plus vivantes et drôles que des leçons de société. Comme cette jeune fille sur les barricades, au milieu des gaz lacrymogènes, en pleine nuit qui, comprenant que lui est professeur, lui demande « Monsieur, savez-vous si nous aurons cours, car j’avais un contrôle prévu demain ?! ». Comme la description de l’ambiance bon enfant qui soudain dégénére avec les bruits des balles qui sifflent à leurs oreilles. Comme la petite vieille planquée derrière ses rideaux au dessus des policiers, qui dès qu’ils avaient la tête baissée, leur laissait tomber une bouteille pleine sur le casque, pour reprendre un air innocent quand ils levaient la tête pour voir qui les attaquait ainsi !

Pour un nouveau monde

Mon père a disparu le 20 mars 2019. Sa vie entière il a observé et analysé le monde, la société, la politique. Je dois bien avouer qu’il était inquiet pour notre avenir. Qui ne l’est pas aujourd’hui ? avec les problématiques d’écologie, d’économie, de société…

André s’est engagé en politique dès la création du PSU et, si il est toujours resté discret, il a persévéré dans son implication jusqu’à la fin, en participant dès qu’il le pouvait aux réunions du sgen, discutant de notre avenir, des problématiques d’éducation… Aujourd’hui il n’est plus, mais ses idées demeurent. Je ne me suis jamais engagée pour ma part, le mentor peut être trop intimidant par sa culture, son savoir, son histoire, des barricades de mai 68 à toute sa carrière d’enseignant-chercheur en psychologie sociale…

Je veux aujourd’hui vous faire part de nos échanges et réflexions. Pour un nouveau monde qui est, tantôt discrètement, tantôt brutalement, en mutation. Je veux vous dire ce que je vois, au travail, et vous dire qu’il y a un autre monde possible si nous ouvrons notre perception.

J’ai souvent discuté avec mon père de points de levier qui me semblaient évidents et pourtant peu ou pas exploités. Par exemple, pourquoi le vote blanc n’a jamais été reconnu à sa juste valeur. Pourquoi le programme de Hamon a disparu du champ des possibles ? Pourquoi, pendant toutes ces semaines de mobilisation des gilets jaunes, le revenu universel n’est pas revenu en force dans le débat national ? Pourquoi l’état de la planète inquiète autant et qu’on a pourtant l’impression que rien ne change et que les humains vont droit dans le mur, qu’il faut être inconscient pour faire des enfants ? Pourquoi ?

Parce que, comme premier élément de réponse, tout va trop vite et nous ne pouvons prendre le recul nécessaire pour calmement analyser l’évolution de notre monde, des humains et de notre société. L’humain, cet être divin et maudit, capable de tant de choses mais surtout de se prévoir sans vie, quelle angoisse ! Commençons par là.

J’ai eu 40 ans cette année, j’ai perdu ma grand-mère maternelle à 105 ans, j’ai recueilli un étourneau sansonnet qui ne veut plus partir malgré nos deux chats. J’ai beaucoup travaillé dans un métier que j’aime mais qui m’a provoqué un semblant de burn-out. J’ai d’abord refusé un arrêt maladie en disant « rien que de me dire que je vais m’arrêter une semaine, ça me stresse ». « Raison de plus pour le faire » m’a répondu mon médecin ! Au final, deux mois et demi d’arrêt, à remonter la pente doucement, en culpabilisant d’abord de ne pas en profiter pour ranger, trier, faire des choses. Je n’avais plus rien à exprimer, à dire, à part une angoisse sourde et paralysante. Comment prendre soin de moi ou me faire plaisir alors que je me suis construite avec ce leitmotiv « quoi que je fasse dans ma vie, je serai heureuse avec ce que j’ai »… Ce qui a ses limites quand la charge est trop grande. Pourquoi n’étais-je pas heureuse alors ?

Parlons de ma grand-mère qui avec impatience attendait d’être enfin rappelée : « On m’a oubliée sur terre ou quoi ? » pourtant elle était toujours là, avec toute sa tête et ses souvenirs. à échanger avec mon père sur la religion, Jésus, les évangiles. Je me disais « comment fait-elle pour avoir autant de souvenirs si précis, avec plus de cent ans de vie ? » Peut-être parce que jusqu’à la première moitié de sa vie, 50 ans, elle n’a pas été inondée d’images télévisuelles, de films, de séries, d’histoires condensées en 1h30 ?
Peut-être parce que les trajets Paris-Marseille ont longtemps pris plus de 7h ? sans tablettes, ordinateurs ou smartphones pour emplir le temps d’une multitude de tâches, d’informations ou de distractions ? Ma plus grande fierté étant peut-être, lors d’une de mes dernières visites, d’avoir pu lui présenter Cracou, et qu’elle me dise « Je n’ai jamais vu ça, félicitations de l’avoir sauvé »…

Mon père aussi, fan du cracou qui lui faisait la sérénade à chaque visite. Qui me reparlait de Graffiti, le perroquet gris du Gabon, qui avait appris tout seul à assembler des bouts de phrases pour dire « tais toi Eloi » au fils d’Annie quand il criait… Et notre Cracou qui répète inlassablement « t’es content ? tu chantes ? » et qui nous siffle la Marche de l’empereur ! Mon père inquiet de me voir stressée et empêtrée dans ma frustration : tenir ou lâcher prise, Oui ou Non, Noir ou Blanc ? Parce que la vie ce sont des nuances, des épreuves, de la souffrance et de l’injustice mais aussi du bonheur, de la bienveillance et de l’espoir. Je suis heureuse qu’il ait eu le temps de me voir aller mieux, qu’il ait eu le temps de voir qu’il n’avait pas de raison de s’inquiéter pour moi. Heureusement. Qu’aujourd’hui je peux construire, continuer, évoluer et écrire.

Oui heureusement qu’il a pu le voir avant de passer de vie à trépas. Et parce qu’aujourd’hui je vais mieux, je veux vous dire, c’est possible, que nous allions tous mieux. Et peut-être aussi que le monde et la société aillent mieux. Pour que l’histoire et la vie continuent.

Alors pourquoi ? quel problème avons-nous ?

La vie de château

Mon père est né en Normandie en 1931. Sa mère Marie Germaine Victoria Turpin, cuisinière, seule fille d’une fratrie de 9 frères, épouse à vingt ans André Henri Benjamin Omer Duflos. Ils forment le jeune couple d’employés de maison qui passeront plusieurs années au château. André-Père apprend à son fils à respecter les fleurs, qu’il ne faut pas couper sans réflexion pour en faire des bouquets. Respect de la nature un peu compromise quand André-Fils est retrouvé dans le potager, tous les choux éventrés, car les garçons naissant dans les choux, il cherchait un éventuel petit frère. Cette vie de château permet à mon père d’accéder à la culture, à la littérature et au savoir, les châtelains considérant que l’éducation n’est pas faite pour les paysans, mais pour le fils de leur jardinier, bien sûr que oui : il aura accès à toute leur bibliothèque.

Prise de conscience sociale dès le plus jeune âge ? Cette duchesse se demandant ce que fait là ce petit paysan, le châtelain répondant « c’est le fils de mon jardinier, il est ici chez lui, et si cela ne vous plait pas, partez donc ». André sait donc lire et écrire à 4 ans, et tout le pousse a prendre la voie de l’instruction, du curé du village aux employeurs de ses parents. Plusieurs kilomètres à pied chaque jour pour aller à l’école, des classes dans lesquelles tous les âges sont rassemblés, les grands aidant les petits, on est sérieux à cette époque.

En tout cas André l’est, même si il doit montrer, à coups de poing, qu’il n’est pas une fille. Son père partant pour la guerre ordonne finalement à sa mère de faire couper les boucles blondes de son garçon… Un paradoxe pour cette femme qui ne voulait surtout pas engendrer de fille, si anxieuse de mettre au mode un bébé de sexe féminin que son mari avait pensé lui faire la blague, à la naissance d’André, de s’écrier « c’est une fille ! ». Je ne sais plus si il a osé, mais je sais que, toute sa vie, la mère ne voudra pas d’autre enfant de peur d’avoir une fille…

La guerre et l’exode

La guerre, l’exode surtout, les anecdotes que je réclamais le soir pour m’endormir. Il racontait cette fois où ce vieux monsieur avait mis tant de temps à descendre de la plateforme du bus pour un arrêt… Arrêt subitement interrompu par les bombes qui peuvent autour d’eux ! Et le premier à courir pour rejoindre le véhicule et sauter lestement sur cette même plateforme, c’est bien sûr le vieillard en question ! Histoire drôle même quand mon père se rend compte qu’un éclat d’obus a coupé net le bout de sa chaussure, sans le blesser, il a 8 ans, il voit une autre fois cette femme qui tient son bébé dans ses bras, ses enfants autour d’elle, prendre un éclat en pleine poitrine et sous la douleur lâcher le bébé sur la route, sa petite fille sauter du camion pour le récupérer, au milieu des bombes, et la mère hurler qu’on arrête la camion. Elle n’en descendra que quelques kilomètres plus loin lors d’une accalmie et repartira à pied avec son petit garçon pour essayer de les retrouver. Et mon père qui se demande des années après ce qu’elle est devenue, si elle les a retrouvés…

Photo d’illustration.

Les années de guerre, les couvre-feu à Paris, il a vu les rafles au petit matin. Me racontant l’infamie des gendarmes français qui séparaient les hommes des femmes dès l’arrestation : les bébés mâles séparés de leurs mères… Il a vu les fusillés, les allemands qui pouvaient aussi être gentils, ces pères eux aussi séparés de leurs enfants, qui distribuaient des bonbons.

Merci à vous

André est parti, parti serein, après une vie si remplie, tant d’années, d’épreuves et de bonheurs, Nous sommes fiers de l’avoir connu, d’avoir partagé avec lui, d’avoir appris de lui. Avec ses qualités et ses défauts, sa foi en l’autre, son empathie qui souvent le laissait sans voix. Sa voix qu’il a perdue il y a quinze ans, me disant qu’il n’en avait plus pour longtemps… Je lui avait dit à l’époque « Non, cela ne va pas être possible, débrouille toi ». Et il s’est débrouillé pour rester avec nous 88 ans, lui à qui on avait dit à 20 ans « vous êtes mort ».

Et il est resté, au delà des alertes, au delà de cet avis de gros temps qui s’est abattu sur sa santé fin 2016. Il a encore surpris son monde, et lui-même, à se remettre, rentrer chez lui, reprendre le vélo d’appartement et toutes ses activités, nous remercier d’avoir été là, d’être là… Fin 2018, l’essoufflement est revenu, il ne pensait pas passer Noel, et se mis à distribuer les cadeaux en avance… Encore une fois, la forme est revenue, le temps d’organiser des déjeuners, de se rassurer…

D’un coup, cette dernière glissade, de se traiter « d’emmerdeur » mais d’apprécier d’être entouré, de lire ses journaux, de parler encore de son testament puis « ah c’est pas pour cette fois ? », de plaisanter avec les infirmiers et les médecins… « C’est pas la peine que tu viennes demain, Noel et Mado seront là, repose toi » et moi, mais bien sûr que je viens, tous les jours… Et cet appel le lendemain matin.

Il n’a pas souffert, et son départ est soudain mais parfait. Du grand André Duflos.
Vous avez été tous là, à répondre présent pour ce dernier rendez-vous,
Partager notre peine à tous, notre perte de cet homme si humain.

Être ensemble pour cette journée ensoleillée, rassemblés autour de lui et d’un bouquet de fleurs des champs, pour que ce moment terrible soit un moment de douceur et de partage. Même si il disait ne vouloir ni discours ni d’hommage, je sais qu’il a souri de nous voir affronter ces machines infernales liguées contre nous pour nous empêcher d’écouter les morceaux de musique qu’il avait pourtant choisi !

Vous pouvez donc les retrouver ici accompagnés du diaporama.

Il nous manque tellement, le généreux, cultivé, discret, toujours présent, rempli d’humour… Quand nous voulions payer le restau, et qu’il nous arrachait la carte de bleue des mains, avec un petit sourire satisfait quand la serveuse lui donnait raison. Les seuls moments où il se fâchait vraiment, quand je voulais porter les bagages mais que « ca l’équilibrait ».

Toutes ces moments partagés, dont vos témoignages sont si précieux aujourd’hui. Pour qu’il continue à vivre dans nos coeurs et nos mémoires.
Essayer de surmonter la peine de la disparition en chérissant cette chance de l’avoir connu.

Nous irons bientôt déposer sa plaque à Marlstein, sur ce chemin que lui et nous avons si souvent emprunté… et aujourd’hui, ici et là-bas, il saura trouver la paix dans ces montagnes tant aimées, j’en suis sûre…

Vos témoignages et souvenirs d’André

Il nous a tous marqués. Par son sourire, par les débats enflammés, les échanges apaisés ou les anecdotes racontées par lui ou vécues avec lui… Tous ces moments partagés, dont vos témoignages sont si précieux aujourd’hui. Pour qu’il continue à vivre dans nos coeurs et nos mémoires. N’hésitez pas à déposer sur ce site vos photos, mots, souvenirs ou hommage… pour lui, pour nous et pour vous.

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